Récit Jour 3: Passager clandestin

Nuit sans histoire
Journée commence bien.
Glisser la nuit sur l’eau qui glougloute sous le tableau arrière (partie arrière de la coque), avec un joli lever de lune.

Ce matin, derrière moi (je l’ai dépassée pendant la nuit), Atraxia sort toute la toile possible.
Mais comme hier, sous un ciel plutôt gris, le vent en journée faiblit pour disparaitre vers midi.

Et le moteur de ronronner tout l’après-midi.

Je découvre un passager clandestin.
Est-il arrivé porté par le vent? Mais le vent soufflait de l’Ouest depuis hier midi et à l’Ouest, Madère est à 1000 km. Peut-être que lui aussi fait une pause en attendant que le vent le porte plus loin? S’il pouvait me raconter son voyage…

La nuit tombe et Atraxia fonce pour essayer de retrouver une zone de vent.

Le moteur à plus de 2000t/m consomme sensiblement plus et surtout est beaucoup plus bruyant. Ce n’est pas un marteau-pic mais en mer l’ouïe doit devenir plus sensible. Tout ce silence…
Bref, c’est ch…t le jour; la nuit, c’est pire.

Naviguer de conserve, ce n’est pas toujours facile!!!

Un beau soleil couchant pour se détendre?

LogBook 2016-10-19: de 35N6W à 34N8W

Vous l’avez compris, quand il n’y a pas de destination portant un nom, j’utilise les coordonnées latitude-longitude (35°Nord-6°Ouest).

00:00 Je n’ai pas trop sommeil et j’en profite pour renvoyer de la toile; génois (classique sur enrouleur, 105%, 49m2) déroulé entièrement.

Je dors par tranches de 30 minutes, il y a du trafic dans cette zone…

06:00 Lever du jour.

08:30 Je me suis écarté d’Atraxia pendant la nuit et je fais un crochet plein sud pour les rejoindre. La navigation de conserve, c’est moins simple qu’il n’y parait (voir Guide Technique 002).

12:00 Je relève le premier dégât de la traversée, pendant la nuit l’écoute de génois au vent a ragué sur la filière et la gaine est déchirée.

12:40 A force de faiblir, le vent s’est totalement éteint. Damned! Moteur. Le point positif, c’est que cela recharge mes batteries plus vite que les panneaux solaires (55A entrantes en début de cycle, 35A au bout d’une heure, contre maximum 15A pour les panneaux, on en reparlera plus en détail un autre jour).

16:00 Le vent revient légèrement et sur le bord opposé. J’envoye le Code 0. 95m2 de toile ultralégère qui font des miracles dans le petit air. Mon sister ship Atraxia faute de voile appropriée et handicapée par son poids largement supérieur (18 tonnes) poursuit la route au moteur.

20:00 Le vent monte dououououcement (7kn à 16h, 8 à 19h, 9 à 22h) et je décide d’en profiter tant que je peux rester éveillé.

22:30 Je repasse sous Génois pour la nuit, l’idée de devoir lutter avec l’emmagasineur du C0, seul en pleine nuit, si le vent monte au dessus de 15kn, non merci!

23:50 L’image ci-dessous, prise au flash, donne une idée asser précise de ce que l’on voit du paysage par une nuit sans lune. Rien… Je suis au milieu du grand rien.

 

Récit Jour 2: En suivant Atraxia

Le jour se lève… sur l’horizon, il y a Atraxia. Tout va bien.
La nuit a été facile.

En pleine forme car on vient de partir.
Mer calme.
Vent doux et stable.
Atraxia à proximité qui m’aurait prévenu par VHF (radio) si quelque chose se produisait.
Relax!

Le jour se lève… et mon rituel du matin commence. Prendre une douche chaude (l’eau, chauffée par le courant 220 volts à quai et par le moteur en navigation, se conserve chaude à bord pendant plus de 24 heures), changer de vêtements, me faire un bol d’Ovomaltine…
En fin de nuit, je me sens souvent poisseux et las. Dormir par tranche de 30 minutes, rester de nuit longtemps dans le cockpit (partie arrière abritée du bateau) dans l’air froid et humide de haute mer, ce n’est pas top.
D’où le besoin de “laver la fatigue”.
Après le rituel matinal, si en plus il y a un beau lever de soleil, je suis un homme neuf. Comme au premier matin du Monde 🙂

Le rythme de la navigation hauturière s’installe.
Faire le point.
Faire un tour d’inspection du bateau en partant arrière sous le vent (à l’opposé du côté où le vent souffle) pour finir arrière au vent en passant par la proue.
Première victime: l’écoute de génois. Elle a ragué (frotté en s’usant) sur la filière (main courante en câble d’acier qui ceinture le bateau). Pas trop grave mais je la retourne pour avoir une partie nette coté voile et ramener la partie usée dans le cockpit. Là-dessus un morceau de ruban adhésif type “électricité” et c’est bon.

Je m’inquiète un peu de voir le vent mollir. A raison: à midi, il finit par mourir! Moteur.
Le côté positif: rechargement plus rapide des batteries avec l’alternateur du moteur (55A) qu’avec mes panneaux solaires (16A).
Et quand les batteries sont bien chargées, le vent… revient.

Etrange comme à terre, je prêtais peu attention au vent. Alors que pour un voilier, le vent c’est la vie.

Et là, la vie revient.
J’envoie la plus grande voile (Code 0) qui fait 95m2. Et le château de toile part doucement en glissade sur l’eau. Magique!

 

GuideTech 001: Le carburant

Un passage par Gibraltar, c’est sans nul doute, le bon moment pour parler de carburant. Le diesel en Octobre 2016 y coutait (après négociation de mon ami Ron, skipper d’Atraxia) 44 cents le litre!

D’accord, les voileux aiment se passer du moteur. Quand sorti du port, on hisse les voiles, que le bateau glisse sur l’eau et, à la coupure du contact moteur, que le silence s’installe, c’est là, pour moi, l’entrée dans le monde magique de la Voile.

Mais poésie mise à part, le moteur est tout de même précieux (une douche chaude au milieu de l’Océan par un petit matin glacé après le quart de nuit, hmmm…)!

Et pour le faire fonctionner, il faut:
1. En avoir un!
2. L’entretenir.
3. Lui fournir du carburant.

C’est le sujet du jour.

Problème
De manière générale (c’est à dire en excluant les plus fortunés d’entre-nous qui possèdent des bateaux dits de voyage chers à l’achat), nos voiliers ont toujours des réservoirs trop petits lorsque l’on envisage une traversée océanique.

A titre d’exemple, mon Océanis 45 possède un réservoir de 200 litres.
En factorisant une consommation de 2,5 litres à l’heure à une vitesse de 5kn, il peut donc parcourir 400Nm.
En imaginant un démâtage au milieu de l’Atlantique (2000Nm/2), il nous manque donc 600Nm d’autonomie.
Il faut donc stocker du carburant additionnel.
Pour couvrir ces 600Nm, il nous faut, selon le même mode de calcul, 300 litres supplémentaires.
Quelle sont les options.

A. Parlant d’option, il y a l’option usine du réservoir auxiliaire. 75 litres logés dans le coffre arrière bâbord.
Soit l’équivalent de 4 jerrycans de 20 litres pour un prix de… Bref, cher pour une solution très partielle.

B. Il existe les “fuel bladders”, des réservoirs souples qui permettent de stocker des quantités importantes de fuel. Le souci c’est de trouver un endroit ou les arrimer. A l’extérieur, cela encombre le pont, à l’intérieur, dans les grands coffres arrière, c’est faisable.
Mais que se passerait-il, en cas de tempête (cas qu’il faut toujours envisager d’entrée de jeu car quand il se présente il est trop tard pour tenter de s’adapter!)? L’idée d’une “vessie” de 300 litres de diesel qui se déchire et dont le contenu malodorant déferle dans le fond du bateau…

J’ai du coup écarté toute solution impliquant le stockage du carburant à l’intérieur de la coque, en dehors du réservoir d’origine qui lui est solide et solidarisé (a-t-on testé le retournement du bateau avec un réservoir plein chez Bénéteau? Allô le support?? J’appelle demain!)

C. On en revient donc à ce que la plupart des navigateurs au long cours font: embarquer des bidons/jerrycans sur le pont.
Personnellement, les bidons attachés aux filières, cela ne me plait pas trop. Encombrement des passavants, blocage des rails de fargue, mode de fixation asser aléatoire…
Chacun mènera sa propre recherche. Pour moi, sur un Oceanis 45, l’endroit de rêve c’est le dessous du banc de barre.

Solution
Commande des bidons ayant exactement la bonne taille pour être bloqué “avant-arrière” dans le profil convexe du banc.
Un antidérapant caoutchouc pour éviter que les bidons ne s’écrasent “bâbord-tribord” à la gîte.
Mise ne place d’un profil plastique résistant (lisseton) au sol pour bloquer les bidons quand on soulève le banc de barre pour extraire un bidon en mer et que l’on ne souhaite pas que les autres bidons en profitent pour partir en ballade dans le cockpit.

Utilisation
Les jerrycans de 20 litres sont aisément manœuvrables (pour une personne en bonne condition physique).
Les jerrycans de 20 litres remplis à 100% contiennent 22,5 litres
Les jerrycans noirs résistent mieux aux UV.
Les jerrycans clairs permettent de voir les impuretés dans le carburant.

Donc je me suis équipé de 12 jerrycans de 20 litres noirs (made in Germany) et de 2 jerrycans rouges.

Remplissage
A la prise de carburant, je remplis les jerrycans rouges et je les inspecte pour déterminer la quantité de résidus. Trop de résidus, j’arrête tout et vais ailleurs.
Je transfère le carburant vers mon réservoir depuis les jerrycans noirs avec une magic-pump (siphon à bille) sans aller cherche le dernier litre (là où les résidus se concentrent)
Je reverse les fonds de jerrycans noirs dans les jerrycans rouges avec un filtre.

Entonnoir vs Siphon
Pourquoi ne pas utiliser un entonnoir à filtre dès le départ?
Parce que le transfert de carburant du bidon au réservoir, en mer, seul, avec un entonnoir… Non, vraiment 😉
Le système de siphon est génial.
Je pose le bidon en toute sécurité, je mets le siphon en place et pendant le transfert, les deux mains libres je peux me concentrer sur le fait de ne pas embarquer d’eau de mer dans le réservoir. Une grosse vague qui éclate sur l’arrière, c’est courant, et sur l’Océanis 45 l’entrée de réservoir est à l’angle bâbord arrière de la coque. Nickel à la pompe du port, moins nickel en pleine mer.

Bactéries
Eviter les résidus qui bloqueraient le filtre à carburant c’est une chose.
Après, il reste les bactéries. Mon filtre en contenait après avoir pris du carburant au Cap Vert.
Il existe des additifs chimiques qui traitent ce problème. J’ai ajouté un additif en Martinique. 2500 miles plus tard, le moteur tourne (encore) rond. Y-a-t’il un expert dans l’assistance?

Appoint
La question induite par l’anecdote du Cap Vert: quand refaire le plein réservoir/bidons
Moi, en Europe je remplis directement réservoir et bidons.
Dans des pays plus “tropicaux”, je remplis uniquement les bidons rouges, j’inspecte leur contenu, alors je remplis l’ensemble des bidons et je transfère progressivement dans le réservoir principal.
C’est un peu plus compliqué, mais je me console en imaginant le moteur qui tousse et s’arrête dans un dernier hoquet à l’entrée d’une rade par mer agitée…

Cadeau
Il m’est arrivé, pour aider un bateau qui en manquait, de transférer du carburant en haute mer. C’est un peu Rock&Roll mais possible.
Je me place sous pilote, le bateau assisté (Voisin) garde à poste son meilleur barreur.
Je mets en place quelques pare-battages au flanc de mon bateau.
Voisin s’approche au moteur et sous le vent à une longueur de bateau (12-15m).
Je lance un filin léger sur le pont avant de Voisin.
Un équipier du voisin attache ce filin à une drisse libre.
En halant mon filin, je récupère la drisse dont l’équipier de Voisin gère le mou.
J’attache le bidon à la drisse de Voisin.
L’équipier de Voisin hisse la drisse, le bidon suit et je règle le mouvement horizontal avec le filin.
L’équipier récupère le bidon et me renvoye mon filin.
Le retour du bidon à mon bord s’effectue par la manœuvre inverse.

LogBook 2016-10-18: de Gibraltar à 35N6W

07:00 Réveil et courses “food”.

08:30 Départ pour la pompe.

09:30 Plein des 14 jerrycans de 20 litres (en fait 14×22,4l soit 314 litres pour 140€). Je ne fais pas le plein du réservoir principal (200 litres). La jauge me dit “plein à 80%” et on prend déjà tellement de retard (1 heure d’attente, 1 heure pour les 2000 litres des réservoirs d’Atraxia et mes jerrycans…). C’est dingue, pas encore parti et déjà à la bourre! Mais c’est que la marée va être contre nous si l’on traine encore et ici la marée est puissante!

10:30 Départ au moteur car le vent d’Est est bloqué par le rocher de Gibraltar et nous ne le toucherons que lorsque nous aurons dépassé la point Sud du roc. De plus cette zone est très turbulente, on risque d’y passer du temps et la marée va se mettre contre nous…

12:00 Vers Tarifa avec un vent léger (8kn apparents) sous Grand voile et Génois. Si j’étais ailleurs, j’enverrais le Code 0 mais dans le Détroit, la prudence est de rigueur, l’effet Venturi est garanti à la sortie et le vent va monter bientôt, c’est sûr. Je rase la côte car si le vent nous est favorable, la marée ne l’est plus.

13:00 Voiles en ciseaux car je suis à présent plein vent arrière. Une allure délicate en étant seul car la houle peut facilement engager un empannage-surprise.

13:30 Tarifa, bye-bye.

14:00 L’effet venturi est bien là, le vent monte au dessus de 30kn (kn = knot = noeud = 1,852Km/H), Grand voile et génois sur le même bord, je descends vers la côte du Maroc. La mer est confuse dans cette zone d’opposition entre vent et marée. Cela secoue un peu si l’on est pas bien appuyé sous voile.

15:00 Je mets à l’eau le bout de 6mm/50m que je vais trainer pendant toute la traversée à titre d’ultime sécurité. A son bout, une grande boucle qui me servirait de harnais si je passe par dessus bord malgré le harnais et les lignes de vie (on en reparlera dans une page Guide Technique).

16:40 Le vent monte encore un peu et Atraxia, mon sister-ship par au lof entrainé par la surpuissance. Prise de ris d’urgence dans le clapot, vent de face. Ma Grand voile est plus équilibrée et je peux continuer “tout dessus”.

19:45 Je réduis à mon tour la voilure en prévision de la nuit, un ris dans la GV, un ris dans le Génois, et je me mets à la cape (face au vent, voile d’avant à contre) pour attendre Atraxia qui est 2 miles derrière.
Naviguer de conserve n’est pas facile, trop proche, on risque de s’aborder, trop éloignés, on se perd (encore un thème de Guide Technique…).

20:30 La nuit est tombée et je prends le premier quart. Cap au 240, en s’écartant de la côte du Maroc. Loin des côtés, on est plus tranquille (Pêcheurs, filets, pirates(?!), douaniers, cailloux, etc.).

Récit Jour 1: de Gibraltar vers l’inconnu

Le Premier jour…

Départ à l’aube pour… le supermarché (Morrisons).

En cours de préparation, je me suis dit que l’endroit idéal pour stocker du corned beef et de l’Ovomaltine “non-chocolaté” (introuvable chez nous) serait Gibraltar.
Et comme mes amis du bateau Atraxia qui navigueront de conserve jusqu’aux Canaries veulent partir à 8h00, il ne me reste plus qu’à faire mes courses au lever du jour…

Assez surnaturel de côtoyer à l’aube les gens du matin (déjà que je n’ai jamais été un lève-tôt) qui achètent en hâte de quoi déjeuner au bureau alors que moi, je pars pour le plus grand voyage de ma vie. Mais au fond, comme souvent, le sentiment est diffus car je suis concentré sur ma mission: acheter tout ce qu’il me faut en 30 minutes chrono et charrier le tout vers le bateau (je n’ai pas de moyen de transport).

Le titre de la journée (“Départ pour l’Inconnu”) peut paraitre excessivement dramatique mais ce n’est pas de l’hyperbole journalistique. Je ne suis jamais allé au delà de Tarifa en direction du sud.

En fait, chaque fois que je navigue dans une région qui ne m’est pas familière, je stresse un peu. On ne sait jamais comment les choses vont se présenter.
Une zone inconnue, c’est l’absence de références visuelles. La carte est-elle précise, représentative de la zone de navigation, comment est le trafic maritime, comment accéder au mouillage/port, comment se présenter à quai. Cette foule de petites choses, qui si elles tournent mal peuvent se terminer par ma “maison flottante” plus flottante du tout, n’est pas vraiment agréable pour moi.
Par contre quand j’ai déjà été sur place, très vite je ressens la confortable impression d’être “à la maison”, en confiance…

Je crois que la clé de tout cela réside dans l’incapacité d’anticiper quand je me présente face à une zone inconnue. A fortiori lorsque l’on navigue seul et qu’on ne peut réaliser une manœuvre complexe sans anticiper et décomposer les étapes.

Vraiment, le simple fait de voir la carte n’est pas suffisant pour se sentir en confiance!
C’est peut-être bien ce qui fait le succès des guides de navigation.
Mais si j’appréhende l’inconnu, cela ne veut pas dire que je ne l’aime pas. Car c’est là le paradoxe! S’avancer en terrain inconnu et découvrir… Moi, j’ai du mal à imaginer Stanley et Livingstone plongés ensemble dans la lecture du guide du routard du Bas-Congo! Donc pas de guide

On à le droit d’être compliqué, non?

Bref, à 08:30 on largue les amarres de nos deux bateaux amarrés à couple (moi amarré à Atraxia et Atraxia amarré au quai) et on se présente à la pompe à carburant. Le carburant c’est important.

Plein fait, nous quittons la rade de Gibraltar, barre à tribord (virage à droite) dans le détroit en direction de l’Atlantique et en début d’après midi, bref salut au phare de Tarifa, la dernière côté européenne que je verrai avant l’an prochain, si je reviens.

Cap au sud-ouest le long de la côte marocaine en direction des îles Canaries qui sont à 600 miles nautique (Nm = 1,852km) soit 1100km.

Pour nos bateaux qui se déplacent à la vitesse d’une vieille mobylette rouillée, comme disait Antoine, celà fait une jolie distance!