Récit Jour 5: Régate

Minuit. Chasse au bruit!

Un couinement m’empêche de dormir. Non pas à cause de l’intensité du bruit mais parce que je me demande si ce bruit ne m’annonce pas que quelque chose d’important va lâcher…

Finalement, pas grave. Un chariot d’écoute (un truc qui coulisse sur un rail) qui manquait de lubrifiant. WD40 et silence.

Un lever de soleil glorieux!

09:00 Soudain des voisins. C’est sans doute que nous convergeons tous vers la même destination; Les îles Canaries. Du coup, plus on se rapproche, plus on se rapproche. Plusieurs d’entre eux plus pragmatiques ou plus pressés, sont sur des routes directes qui disent “je suis au moteur”. Mais le vent qui monte donne des ailes au voiliers et mes voisins repassent tous sous voile et on se retrouve en mode régatte. Voiles blanches sur l’horizon. Appel radio pour demander des infos météo.

12:00 La course s’engage. Pas un besoin de gagner mais plutôt le plaisir de voler ensemble comme le font les groupes de pigeons.

19:00 Certains devant, d’autres derrière, le soleil descend derrière l’horizon et les voiles disparaissent. C’était une belle journée. Je suis fier de moi et de mon bateau.

J’aspire à une nuit tranquille mais déjà le problème suivant se pose: le vent retombe et à cette vitesse et ce cap, je vais arriver après la tombée de la nuit prochaine.
Je ne connais pas ce coin, je ne veux pas arriver de nuit!

Récit Jour 4: Seul

On ne s’est pas concerté.

Et pourtant tout est bien. Atraxia est parti devant, au moteur. J’ai coupé le mien et j’avance doucement sous voile. Je suis à présent seul, pas de terre  en vue et qu’est ce que je me sent bien!

Le bateau ne me demande pas grand chose. Alors je lis. Bonheur simple!

Vous vous demandez sans doute à quoi ressemble le salon du navigateur solitaire? Je vous montre:

Un siège en mousse à deux sous. C’est plus léger et beaucoup plus commode en navigation que les jolis coussins de cockpit qui font le confort des invités aux escales. En effet, quand le temps se gâte, ce bloc de mousse se jette sans effort à l’abri de la capote ou carrèment dans l’escalier de descente vers le carré.

Sur la table, un smartphone (dans son étui étanche) et une boite en plastique protégeant le mini-haut-parleur connecté au smartphone pour avoir de la musique de proximité, la balise de détresse à avoir sur soi en cas de déplacement hors du cockpit, une paire de jumelles, des gants qui évitent de se bruler les paumes en manoeuvrant les bouts (cordes), un livre, un verre d’eau…

Et je peux vivre comme celà pendant 20 jours d’affilée. C’est dingue!

Récit Jour 3: Passager clandestin

Nuit sans histoire
Journée commence bien.
Glisser la nuit sur l’eau qui glougloute sous le tableau arrière (partie arrière de la coque), avec un joli lever de lune.

Ce matin, derrière moi (je l’ai dépassée pendant la nuit), Atraxia sort toute la toile possible.
Mais comme hier, sous un ciel plutôt gris, le vent en journée faiblit pour disparaitre vers midi.

Et le moteur de ronronner tout l’après-midi.

Je découvre un passager clandestin.
Est-il arrivé porté par le vent? Mais le vent soufflait de l’Ouest depuis hier midi et à l’Ouest, Madère est à 1000 km. Peut-être que lui aussi fait une pause en attendant que le vent le porte plus loin? S’il pouvait me raconter son voyage…

La nuit tombe et Atraxia fonce pour essayer de retrouver une zone de vent.

Le moteur à plus de 2000t/m consomme sensiblement plus et surtout est beaucoup plus bruyant. Ce n’est pas un marteau-pic mais en mer l’ouïe doit devenir plus sensible. Tout ce silence…
Bref, c’est ch…t le jour; la nuit, c’est pire.

Naviguer de conserve, ce n’est pas toujours facile!!!

Un beau soleil couchant pour se détendre?

Récit Jour 2: En suivant Atraxia

Le jour se lève… sur l’horizon, il y a Atraxia. Tout va bien.
La nuit a été facile.

En pleine forme car on vient de partir.
Mer calme.
Vent doux et stable.
Atraxia à proximité qui m’aurait prévenu par VHF (radio) si quelque chose se produisait.
Relax!

Le jour se lève… et mon rituel du matin commence. Prendre une douche chaude (l’eau, chauffée par le courant 220 volts à quai et par le moteur en navigation, se conserve chaude à bord pendant plus de 24 heures), changer de vêtements, me faire un bol d’Ovomaltine…
En fin de nuit, je me sens souvent poisseux et las. Dormir par tranche de 30 minutes, rester de nuit longtemps dans le cockpit (partie arrière abritée du bateau) dans l’air froid et humide de haute mer, ce n’est pas top.
D’où le besoin de “laver la fatigue”.
Après le rituel matinal, si en plus il y a un beau lever de soleil, je suis un homme neuf. Comme au premier matin du Monde 🙂

Le rythme de la navigation hauturière s’installe.
Faire le point.
Faire un tour d’inspection du bateau en partant arrière sous le vent (à l’opposé du côté où le vent souffle) pour finir arrière au vent en passant par la proue.
Première victime: l’écoute de génois. Elle a ragué (frotté en s’usant) sur la filière (main courante en câble d’acier qui ceinture le bateau). Pas trop grave mais je la retourne pour avoir une partie nette coté voile et ramener la partie usée dans le cockpit. Là-dessus un morceau de ruban adhésif type “électricité” et c’est bon.

Je m’inquiète un peu de voir le vent mollir. A raison: à midi, il finit par mourir! Moteur.
Le côté positif: rechargement plus rapide des batteries avec l’alternateur du moteur (55A) qu’avec mes panneaux solaires (16A).
Et quand les batteries sont bien chargées, le vent… revient.

Etrange comme à terre, je prêtais peu attention au vent. Alors que pour un voilier, le vent c’est la vie.

Et là, la vie revient.
J’envoie la plus grande voile (Code 0) qui fait 95m2. Et le château de toile part doucement en glissade sur l’eau. Magique!

 

Récit Jour 1: de Gibraltar vers l’inconnu

Le Premier jour…

Départ à l’aube pour… le supermarché (Morrisons).

En cours de préparation, je me suis dit que l’endroit idéal pour stocker du corned beef et de l’Ovomaltine “non-chocolaté” (introuvable chez nous) serait Gibraltar.
Et comme mes amis du bateau Atraxia qui navigueront de conserve jusqu’aux Canaries veulent partir à 8h00, il ne me reste plus qu’à faire mes courses au lever du jour…

Assez surnaturel de côtoyer à l’aube les gens du matin (déjà que je n’ai jamais été un lève-tôt) qui achètent en hâte de quoi déjeuner au bureau alors que moi, je pars pour le plus grand voyage de ma vie. Mais au fond, comme souvent, le sentiment est diffus car je suis concentré sur ma mission: acheter tout ce qu’il me faut en 30 minutes chrono et charrier le tout vers le bateau (je n’ai pas de moyen de transport).

Le titre de la journée (“Départ pour l’Inconnu”) peut paraitre excessivement dramatique mais ce n’est pas de l’hyperbole journalistique. Je ne suis jamais allé au delà de Tarifa en direction du sud.

En fait, chaque fois que je navigue dans une région qui ne m’est pas familière, je stresse un peu. On ne sait jamais comment les choses vont se présenter.
Une zone inconnue, c’est l’absence de références visuelles. La carte est-elle précise, représentative de la zone de navigation, comment est le trafic maritime, comment accéder au mouillage/port, comment se présenter à quai. Cette foule de petites choses, qui si elles tournent mal peuvent se terminer par ma “maison flottante” plus flottante du tout, n’est pas vraiment agréable pour moi.
Par contre quand j’ai déjà été sur place, très vite je ressens la confortable impression d’être “à la maison”, en confiance…

Je crois que la clé de tout cela réside dans l’incapacité d’anticiper quand je me présente face à une zone inconnue. A fortiori lorsque l’on navigue seul et qu’on ne peut réaliser une manœuvre complexe sans anticiper et décomposer les étapes.

Vraiment, le simple fait de voir la carte n’est pas suffisant pour se sentir en confiance!
C’est peut-être bien ce qui fait le succès des guides de navigation.
Mais si j’appréhende l’inconnu, cela ne veut pas dire que je ne l’aime pas. Car c’est là le paradoxe! S’avancer en terrain inconnu et découvrir… Moi, j’ai du mal à imaginer Stanley et Livingstone plongés ensemble dans la lecture du guide du routard du Bas-Congo! Donc pas de guide

On à le droit d’être compliqué, non?

Bref, à 08:30 on largue les amarres de nos deux bateaux amarrés à couple (moi amarré à Atraxia et Atraxia amarré au quai) et on se présente à la pompe à carburant. Le carburant c’est important.

Plein fait, nous quittons la rade de Gibraltar, barre à tribord (virage à droite) dans le détroit en direction de l’Atlantique et en début d’après midi, bref salut au phare de Tarifa, la dernière côté européenne que je verrai avant l’an prochain, si je reviens.

Cap au sud-ouest le long de la côte marocaine en direction des îles Canaries qui sont à 600 miles nautique (Nm = 1,852km) soit 1100km.

Pour nos bateaux qui se déplacent à la vitesse d’une vieille mobylette rouillée, comme disait Antoine, celà fait une jolie distance!